MATHIEU LABERGE
Professeur au Collège Gérald-Godin et détenteur d’une maîtrise en économie internationale de l’Université de Nottingham, en Angleterre.
(An English abstract follows)
Il fallait avoir le cœur solide pour lire La Presse à l’heure du petit déjeuner la semaine dernière. Dans leur série d’articles sur les taudis montréalais, les journalistes Katia Gagnon et Hugo Meunier ont traduit avec beaucoup de justesse l’enfer résidentiel auquel sont confrontées de nombreuses familles. Alors que la « fête nationale du déménagement » se prépare fébrilement, il importe de se questionner sur la cause fondamentale de ces situations qu’on aurait cru tout droit sorties d’un autre siècle. Et si c’était les sempiternelles jérémiades des groupes communautaires qui avaient fait sombrer le logement montréalais dans la situation actuelle?
À première vue, le constat est implacable. De grands propriétaires immobiliers profitent de la situation précaire d’une clientèle captive pour lui charger des loyers qui frisent l’usure. Bon joueur, l’Association des propriétaires de logements a dénoncé la poignée de propriétaires qui participent à ce qui a été appelé le « business du taudis », tout en faisant valoir que les locataires n’étaient pas complètement étrangers à l’état délabré des logements en question.
Cercle vicieux de l’insalubrité
Il semble toutefois que la cause principale de la décrépitude des logements montréalais ait été évacuée du débat. Selon les données de Statistique Canada, en 2004, les ménages montréalais dépensaient en moyenne 10 520$ annuellement pour se loger, environ 15% moins que la moyenne nationale de 12 200$. La situation est encore plus exacerbée si on compare la situation de la métropole québécoise à d’autres agglomérations canadiennes d’importance similaire. En traversant la rivière des Outaouais, par exemple, le coût des logements augmente instantanément de 38%, avec des dépenses annelles moyennes dédiées au logement de 15 503$ à Ottawa! Pis encore, l’écart avec Toronto atteint désormais 45% (16 589$).
A priori, on pourrait se réjouir du faible coût du logement au Québec mais, le bas niveau des loyers a envoyé un message doublement néfaste aux propriétaires et aux promoteurs immobiliers; contribuant ainsi largement à la dégénérescence du parc locatif montréalais. Confrontés à des revenus plus minces que partout ailleurs et devant le peu de gains à tirer de réfections majeures, les propriétaires de la métropole québécoise ont laissé dépérir leurs logements. Le montant des dépenses en rénovation engagées par les propriétaires-résidents est d’ailleurs éloquent à cet égard : en 2002, les propriétaires ontariens dépensaient près de 20% plus que leurs collègues québécois pour entretenir leurs logements. Par ailleurs, les promoteurs immobiliers, observant la faible valeur des bâtiments résidentiels locatifs, se sont lancé tous azimuts dans la construction de condominiums au détriment des immeubles à appartements, accroissant du même coup une pénurie déjà passablement préoccupante. On s’est donc retrouvé dans un véritable cercle vicieux de l’insalubrité où les logements désuets devenaient absolument malsains alors que la majorité des édifices nouvellement bâtis n’étaient pas destinés à la location.
Se tirer dans le pied
S’il ne fait aucun doute que plusieurs groupes communautaires jouent un rôle exemplaire de courroie de transmission entre les clientèles vulnérables et les ressources disponibles, notamment dans les quartiers pluriethniques, on ne peut que dénoncer avec vigueur le dogmatisme crasse dans lequel d’autres groupes se sont vautrés. Le dernier exemple en lice est le sort réservé au projet de revitalisation du complexe Imperial Tobacco dans Saint-Henri. Le promoteur immobilier a pourtant favorisé une approche globale en faisant une place de choix aux aspects patrimoniaux et environnementaux du projet. La construction de près de 250 logements sociaux ou abordables est même partie intégrante des plans de l’entrepreneur. Un projet exemplaire selon l’arrondissement. Le hic? La Table de concertation solidarité Saint-Henri et le POPIR-Comité logement dénoncent le projet et réclament un référendum! Selon eux, il serait préférable que la ville de Montréal, parrainée par les gouvernements provincial et fédéral, acquière les édifices.
À la lumière des événements, il devient de plus en plus clair qu’en faisant des subventions gouvernementales et du gel des loyers la pierre angulaire de leurs revendications, voire leur unique cheval de bataille, plusieurs groupes sociaux sont en fait la source même des situations qu’ils dénoncent. À la longue, ils se sont même érigés en véritable obstacle contre ceux qu’ils prétendent défendre. Bref, ils ont oublié la souffrance quotidienne de milliers de familles et ont fait passer l’idéologie avant les résultats. « Mourir pour des idées, l’idée est excellente… » chantait ironiquement Brassens!
2 comments:
Bonjour,
Si vous ne l'avez jamais fait, je vous invite à lire "Le métier et la vocation d'homme politique" de Max Weber. Sous fond de montée du nazisme et du communisme révolutionnaire, il discute de l'éthique de conviction et d'éthique de responsabilité. L'éthique de conviction, c'est agir en fonction d'un code moral, peu importe les résultats. C'est une des causes de l'échec de la société québécoise. "Je suis contre le privé alors je vais me battre contre tout ce qui est privé", sans se demander si l'alternative actuelle est meilleure. Par exemple.
Bonjour
merci beaucoup de votre commentaire. Je n'ai effectivement jamais lu le livre de Weber auquel vous faites références. Je me le procurerai très prochainement, votre résumé m'a convaincu!
Sincèrement,
ML
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