Voici un texte que j'ai publié ce matin dans Le Devoir:
Mathieu Laberge, Économiste à l'Institut économique de Montréal (IEDM)
L'été est une période particulièrement pénible pour quiconque transige avec le système de santé québécois, c'est bien connu. Confrontés à une pénurie d'infirmières alléguée -- le ministère de la Santé et des Services sociaux estime qu'il faudrait 2643 infirmières supplémentaires en 2008 pour faire face à la demande -- les gestionnaires d'établissements de santé voient souvent avec appréhension arriver le temps des vacances estivales.
Pourtant, une étude de l'Institut économique de Montréal publiée récemment donne à penser que bon nombre d'infirmières sont prêtes à travailler dans le secteur privé, en sus de leur pratique normale dans le secteur public, et ainsi contribuer au désengorgement de nos hôpitaux. Selon cette enquête menée auprès de 1420 infirmières l'hiver dernier, il existerait une offre de travail supplémentaire de la part des infirmières que le secteur public n'arrive pas à concrétiser. La majorité des répondantes (54 %) auraient accepté de travailler dans le secteur privé pendant les quarts de jour en semaine, en plus de leur tâche habituelle dans le secteur public. En moyenne, les répondantes auraient offert jusqu'à 15 heures par mois, ce qui représente presque deux jours supplémentaires!
À ne pas négliger
Cette offre de travail équivaut en moyenne à l'apport de 3730 infirmières en équivalent temps plein pendant les quarts de jour en semaine, de 2210 pendant les soirs de semaine, de 1350 pendant les fins de semaine et de 290 pendant les congés fériés. Bien que modeste, cette offre de travail complémentaire ne saurait être négligée. Cette enquête permet de croire que la pratique dans le secteur privé ne causerait pas un déplacement de ressources humaines, puisqu'elle peut mener à un accroissement de l'offre de services, tant par une quantité supérieure d'heures travaillées que par une atténuation de la tendance à abandonner la profession. Il faudrait donc considérer la pratique mixte public-privé des infirmières comme une solution partielle, mais durable, aux besoins du système de soins de santé. En conséquence, une plus grande ouverture à la pratique mixte pourrait se révéler être un moyen de réduire la pression sur le système de santé québécois.
Un problème d'organisation du travail
Les résultats de l'enquête suggèrent aussi que l'actuelle pénurie d'infirmières au sein du système de santé public est un indice de problèmes plus profonds. Ceux-ci relèvent souvent de l'organisation du travail dans le secteur public, avec des règles rigides et un milieu de travail peu efficace et peu satisfaisant. À cet égard, le rapport de la Table nationale de concertation sur la main-d'oeuvre en soins infirmiers suggère des pistes de solution intéressantes, comme le mentorat, une meilleure flexibilité des horaires ou une stabilisation des équipes de travail. Malheureusement, on peut douter que ces mesures permettent d'accroître suffisamment le nombre d'infirmières et leur taux de rétention pour répondre à la demande croissante pour les soins de santé. Tout en rejoignant plusieurs des constats mentionnés par l'enquête de l'IEDM, la Table nationale de concertation, à laquelle tous les syndicats ont participé, se désole que des infirmières se détournent du secteur public. Elle propose de réduire le recours à la main-d'oeuvre indépendante et aux heures supplémentaires. Belle affaire! Pourtant, la popularité actuelle des agences de placement privées semble être surtout un symptôme des problèmes de flexibilité et d'horaires rigides de travail du secteur public, plutôt que la cause du manque d'infirmières.
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In this paper published today in Le Devoir (in French), I argue that the actual deficit of nursing staff in Quebec might be due to a bad work organization rather than on a true lack of workers. A study conducted by the Montreal Economic Institute reveals that more than half of those surveyed (54%) were open to working on weekdays in the private sector in addition to their regular duties in the public sector. The additional availability of nurses for the private sector would amount to hiring the fulltime equivalent of more than 3,730 nurses on weekdays, 2,210 on week evenings, 1,350 on weekends and 290 on holidays.
Unfortunately, when it comes to find solution to the health system problems, we often hear more about increasing budgets and spending more resources than on optimizing the actual available resources.
2 comments:
Oui, l'organisation de la force de travalleurs semble tres instable. Je suis une infirmiere Quebecoise, travaillant aux Etats-Unis, retournant au Quebec, si l'Ordre des Infirmieres et Infirmiers du Quebec decide de me laisser prendre l'examen de l'Ordre (meme si je pratique legallement ici depuis 10 ans!).
Parait-il que les infirmiers travaillent 7 jours a 8 heures par jour, et on 7 jours de conge.
Pourquoi ne pas faire comme aux US (une fois de plus), 12 heures par jour pour 3 jours semaine. Cela aidera a contrer le "burnout". N'empeche qu'il y a une penurie aux USA aussi, mais on paye 10$ plus de l'heure!!! Et compter l'exchange de la monaie, c'est tres bien.
Les infirmiers sont les yeux et oreilles des medecins et l'avocat des patients, on devrait les respecter un peu plus et les remunerer plus et leurs donner des positions permanentes aussitot que leur probation est terminee, disons apres 3 moins.
Des primes de specialites devront etre donnes, j'ai 3$/hre de + pour travailler de nuit, et 2.50/hres pour les soins intensifs!
Merci,
Marie
Alors que les établissements de santé du Québec peinent à combler des postes offerts en soins infirmiers, un nombre important d’infirmières disponibles boudent ces offres d'emplois. Un problème difficile à régler? Pas du tout. Il s’agit d’ajuster les rémunérations des différents postes offerts en fonctions des exigences des lois du marché. Une solution certes financièrement exigeante, mais normale, équitable et nullement complexe.
Le problème de pénurie d’infirmières ne découle pas du manque de personnes disponibles formées en soins infirmiers. Ainsi, en 1999, en pleine pénurie d'effectifs, 14 000 infirmières étaient sur des listes de rappel selon une enquête menée par l'Ordre des infirmières.
(Le Devoir,16 juin 1999, A1, Isabelle Paré, « Les sources du conflit »).
En 2006, au cabinet du ministre de la Santé, on a qualifié d’une avancée le fait de garantir aux infirmières du réseau un minimum de huit jours de travail par mois. (Huit jours!!!)
(Le Devoir, 29 sept. 2006, A2, Guillaume Bourgault-Côté, « Le temps est venu de valoriser le métier d’infirmière »).
En 2008, soixante pour cent des infirmières québécoises du réseau de la santé travaillaient toujours à temps partiel.
(Le Devoir, 4 juill. 2008, A8, Lina Bonamie (présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), « Une pénurie de jugement? » ).
Et pourtant, de nombreux postes d’infirmières à temps plein ne trouvent pas preneuses. Pourquoi? Parce que les conditions de travail offertes découragent plusieurs candidates potentielles.
« Une jeune infirmière qui arrive du cégep, on lui dit : pour les 15 prochaines années, tu vas travailler de soir et de nuit, et un week-end sur deux. » [a affirmé le Dr Ronald Denis, chef du département de chirurgie de Sacré-Cœur].
(La Presse, 7 févr. 2008, A2, Malorie Beauchemin et André Noël, « Santé. Le privé à la rescousse. « Il va y en avoir d’autres »» ).
« En raison de la pénurie de personnel, avant même d’avoir acquis un an d’expérience, la jeune infirmière devient responsable d’un département de nuit. La pressions, le stress et l’épuisement risquent d’être au rendez-vous. Si la même infirmière décide de passer par une agence de placement, sa réalité sera tout autre. [d’où l’attrait de plus en plus grand des agences privées sur les infirmières] »
(Le Devoir, 11 nov. 2007, G5, Marine Letarte, « Le privé impose moins de contraintes que le réseau public »).
De l’autre côté, les infirmières plus âgées, celles qui n’ont souvent plus d’obligations familiales, sont celles qui occupent massivement les postes de jour.
Les hôpitaux affiliés à l’Université McGill ne vivraient pas ce problème de pénurie d’infirmières (du moins en 2002), car ils font faire des rotations de quarts de travail à leur personnel infirmier. Le sous-ministre adjoint à la main-d’œuvre au ministère de la Santé et des Service sociaux, Jacques Larouche a déclaré que les établissements du réseau francophone « ont sûrement peur d’appliquer cette disposition [que les employeurs pourraient introduire selon les conventions collectives actuelles] qui serait très impopulaire chez les infirmières les plus anciennes.»
(Le Devoir, 25 févr. 2002, A3, Isabelle Paré, « McGill a trouvé une solution à la pénurie d’infirmières »).
Mais la solution du réseau affilié à l'Université McGill n’est pas la seule disponible. On pourrait très bien augmenter la rémunération offerte pour les quarts de nuit et de week-end de manière à y attirer suffisamment de candidates, soient-elles expérimentées ou novices. Pourquoi tant de résistances à une solution aussi simple?
Bien qu’une résistance peut provenir du fait qu’une telle solution impliquerait un accroissement de la masse salariale (même si j’estime que, théoriquement, une hausse de la rémunération pour les quarts de nuit et de week-end pourrait, du moins en partie, être financée par une réduction de la rémunération pour les quarts de jour), je crois que la résistance principale provient du fait que de trop de gens estiment que les descriptions de tâches des infirmières de nuit, de week-end et de jour sont trop semblables pour légitimer des rémunérations sensiblement supérieures pour les postes de nuit et de week-end. Ces personnes sont victimes de la croyance illusoire qu’il est possible de déterminer des rémunérations équitables différentes des rémunérations répondant aux lois du marché. (Je démontre en quoi cette croyance est une illusion dans mon texte «« En s'appuyant sur les descriptions de tâches, il est possible de déterminer les rémunérations équitables des emplois ». Vraiment?!» du 21 avril 2008).
Lors de la campagne électorale de l’automne 2008, Jean Charest a promis une prime salariale de 3000 $ par années aux infirmières techniciennes et bachelières pendant leurs trois premières années d’exercice.
(La Presse, 18 nov. 2008 A11, Tristan Péloquin, « Charest promet 3000 $ de prime aux jeunes infirmières »).
Une telle proposition va peut-être aider à résoudre partiellement le problème de recrutement de personnel infirmier. Mais pourquoi offrir une telle prime même aux nouvelles infirmières qui ont la chance de dénicher un poste de jour? Pourquoi ne pas offrir des primes aux infirmières expérimentées qui accepteraient de travailler dans des postes de nuit et de week-end? Ne serait-il pas plus indiqué d’offrir des primes là, et uniquement là, où elles sont requises; C’est à dire pour le travail de nuit et de week-end?
Pierre Guérin
(Ce texte a été originalement affiché sur mon blogue lecrible.blogspot.com, le 13 janvier 2009, sous le titre « « La pénurie d’infirmières est un problème complexe à régler ». Vraiment? »).
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