Mathieu LABERGE
Professeur au Collège Gérald-Godin et détenteur d’une maîtrise en économie internationale de l’Université de Nottingham, en Angleterre.
En décembre 2002, le Canada signait officiellement le protocole de Kyoto. Quatre ans plus tard, comme on l'a vu encore cette semaine à Nairobi, le sujet suscite toujours beaucoup de controverse au Canada entre les différents partis politiques et ordres de gouvernement, les groupes de pression et l'industrie.
Mais qu'en est-il du simple citoyen? Depuis quatre ans, les Canadiens ont à peine modifié leurs habitudes néfastes pour l’environnement, encouragés par des mesures incitatives qui n’ont convaincu personne de changer leurs comportements et un discours environnementaliste faisant porter l’odieux des changements climatiques sur le seul dos des industries polluantes. Et si la clé de l’atteinte des objectifs canadiens du protocole de Kyoto se trouvait aussi dans le trousseau de chaque citoyen
L’approche environnementale canadienne, mettant de l’avant une solution essentiellement basée sur des mesures de restriction volontaires pour les citoyens et sur des mesures coercitives pour les industries polluantes, a définitivement démontré son incapacité à lutter contre les changements climatiques. Une comparaison des documents officiels des gouvernements américain et canadien démontre effectivement que de 1990 à 2004, le Canada a systématiquement moins bien performé que les États-Unis en matière de lutte aux émissions de gaz à effet de serre. Le Canada n’atteindra pas ses objectifs de Kyoto dans les temps prévus? C’est une évidence! Mais on ne doit pas baisser les bras pour autant…
Une autre approche est possible
En faisant croire aux citoyens que l’atteinte des objectifs de Kyoto n’aurait que peu d’impact sur leurs habitudes de vie et que les industries polluantes se chargeraient de faire tout le travail, on les a déresponsabilisés face à leurs devoirs environnementaux. Du coup, le Canada s’est privé du formidable effet de levier dont les citoyens disposent sur l’ensemble des entreprises.
Dans l’immédiat, la seule solution qui puisse permettre au pays de rattraper un tant soit peu le retard accumulé dans l’atteinte des objectifs environnementaux auxquels il a souscrit réside dans l’exploitation de ce pouvoir. Si l’industrie continue de mettre en vente des produits dont la fabrication ou l’utilisation est néfaste pour l’environnement, c’est qu’il y a nécessairement des acheteurs pour les acquérir. Le jour où les acheteurs décideront de bouder les produits fortement polluants, les entreprises s’ajusteront en répondant aux nouvelles attentes de leurs clients.
Le cas de la consommation d’essence au cours de l’été dernier est particulièrement évocateur de ce phénomène. Selon les données compilées par Statistique Canada en juin et en juillet dernier, alors que les prix de l’essence frôlaient un dollar le litre, les ventes d’essence de catégorie « super » et « intermédiaires » ont chuté significativement alors que celles de catégorie « ordinaire sans plomb » étaient relativement stables. Il y a donc fort à parier que les acheteurs d’essence de catégories supérieures ont modifié leurs habitudes en achetant de l’essence de moindre qualité. Logiquement, les consommateurs d’essence « ordinaire » auraient donc réduit leur consommation laissant le niveau des ventes globales de ce type de carburant à peu près inchangé. La réaction de l’industrie ne s’est pas fait attendre : certaines grandes chaînes de stations-service ont offert les essences de qualité supérieures au prix de l’essence ordinaire une journée par semaine! Selon les données préliminaires pour le mois d’août, publiées récemment, la situation revenait tranquillement à la normale avec le retour de prix plus courants… et les promotions sont disparues!
La leçon à retenir? Devant un changement permanent des habitudes de consommation des Canadiens, les entreprises ne pourront maintenir de telles promotions indéfiniment et devront nécessairement modifier leur offre de produits sous peine de perdre leur clientèle. Conséquemment, il appartient aux gouvernements de reconnaître l’échec des mesures incitatives et de mettre en place un ensemble de mesures contraignantes envers les particuliers afin mettre à contribution le levier incomparable que représente le pouvoir des acheteurs sur les industries polluantes.
Ce sera nécessairement impopulaire auprès des électeurs, mais si les Canadiens ont réellement à cœur le respect des objectifs canadiens du protocole Kyoto, ils accepteront leurs responsabilités de bonne grâce et sauront reconnaître le courage politique à la base de ce type de décision. « Acheter, c’est voter » a écrit Laure Waridel. Il est grand temps que les élus en prennent acte.