Voici le texte d'une conférence que j'ai prononcé la semaine dernière au Collège Jean-de-Brébeuf et à l'Association générale des étudiants en droit de l'Université de Sherbrooke. (Le texte prononcé a préséance)
Je voudrais d’abord vous remercier de me laisser prendre la parole devant vous aujourd’hui.
C’est évidemment toujours un plaisir de venir devant un auditoire de gens du même âge que moi, ou en tout cas de la même génération, pour discuter d’idées. Des gens avec qui je partage un ensemble de choses qui dépassent largement l’âge : nous partageons un vécu, des expériences politiques, des convictions… C’est ce qui fait de nous la génération des « enfants de la loi 101 ».
C’est évidemment un défi également, puisque c’est l’occasion de mettre à l’épreuve des idées que j’ai écrites et qui touchent l’ensemble de notre génération. Parce que je crois que nous partageons également une vision du Québec et du Canada qui est propre à notre génération.
Laissez-moi commencer en vous racontant une anecdote qui m’a beaucoup fait réfléchir depuis un mois…
Tout a commencé le 14 janvier, au retour des vacances du temps des fêtes. La première chose que je fais en me levant le matin, c’est de consulter la section éditoriale de La Presse – je ne la lis pas, pas assez réveillé pour ça!, mais je la consulte.
Ce matin là, La Presse publiait un article titré « Enfin de l’oxygène » sous la plume de Christian Dufour. Rapidement, j’ai compris que Christian Dufour, un professeur de l’École nationale d’administration publique, réservait un accueil très positif au livre « Reconquérir le Canada : un nouveau projet pour la nation québécoise » qui avait été publié quelques semaines plus tôt.
En le lisant plus tard, j’ai perdu un peu de mon enthousiasme. Christian Dufour, un professeur que j’admire et respecte beaucoup par ailleurs, réservait effectivement un accueil dityrambique au livre… sauf aux chapitres qui me paraissaient les plus innovateurs : ceux des jeunes.
Au sujet des « jeunes » du livre, il écrivait : « Si l’on peut comprendre une certaine exaspération face au manque d’attachement des Québécois à l’égard d’un Canada dont ils font partie, l’amour ne se commande pas et la politique ne saurait se confondre avec la morale ou les bons sentiments. Partout et depuis toujours, elle repose sur la reconnaissance des intérêts objectifs des individus et des groupes, en relation avec ceux des autres. La force du livre apparaît davantage résider dans un rappel bien senti aux Québécois de ce qui est dans leur intérêt, en particulier les avantages du fédéralisme, que l’oubli de ces intérêts dans un factice amour du Canada. »
Je vous passe tous les commentaires qui me sont passés par la tête ce jour-là… et qui y sont d’ailleurs restés pour la plupart. Mais je peux vous confirmer que plusieurs faisaient référence à une pub de Volkswagen du genre : « Tasse-toi… » je vous laisse compléter.
En relisant le texte pour préparer cette conférence, je me suis rendu compte que j’avais eu tort… de m’emporter de la sorte !
Parce que le texte de Christian Dufour est la meilleure illustration des différences entre les deux générations qui se regardent en chiens de Fayence, mais qui ne comprennent pas leurs perceptions divergentes de la politique canadienne…
De mon point de vue, ce que prétend Christian Dufour dans son texte est :
1- Il faut continuer de vendre le Canada aux Québécois : ils finiront bien par comprendre que c’est dans leur intérêt ;
2- Le fédéralisme canadien n’est pas affaire de participation et , mais bien de rapport de force ;
3- À ce chapitre, le Québec détient un avantage certains, puisqu’il est un des deux peuples fondateurs.
Or, si les gens de notre génération peuvent comprendre ces arguments, j’ai l’intime conviction qu’ils ne peuvent y adhérer… parce que cela correspondrait à nous demander de lire l’actualité politique actuelle avec les lunettes de nos parents et de nos grands-parents.
Or, notre vécu comme génération politique diffère fondamentalement du leur, et cela teinte notre compréhension de la politique canadienne. Ce que je crois, c’est qu’il y a trois événements fondateurs qui ont marqué notre génération :
1- L’adoption de la loi 101
Comme enfants de la loi 101, nous avons vécu dans un Québec ou le français comme langue d’expression publique et commune était protégé. Nous n’avons pas connu l’époque de McGill français ou l’affront de se faire servir uniquement en anglais chez Eaton’s.
C’est une différence fondamentale, parce que ça fait de nous une génération qui ne voit plus l’anglais comme un outil d’oppression, mais plutôt comme un outil de travail et de communication.
Bien entendu, il faut continuer de protéger le fait français en Amérique, mais contrairement aux générations précédentes, nous pouvons désormais penser au développement de notre nation au sein du Canada, plutôt que se concentrer uniquement sur la préservation des acquis…
C’est un anachronisme de parler de préservation des acquis quand le Cirque du Soleil est dans le petit Larousse, quand SNC-Lavallin est devenu une des premières firmes d’ingénierie au monde, quand les avions et les trains de Bombardier transportent des centaines de milliers de personnes, quand des millions de lecteurs lisent leur journal sur de l’encre et du papier de Québécor, quand Denys Arcand est acclamé aux Oscars… quand Arcade Fire s’est fondée à Montréal !
Bref, selon moi, notre génération comprends que le français fait de nous une nation différente, sans pour autant qu’on ait à ne se préoccuper que de cette différence.
2- Le déplacement des lieux d’influence
Autre différence fondamentale à mon avis : la perte de vitesse de Montréal comme lieu d’influence canadien. Les générations précédentes ont connues de façon bien concrète l’opposition des deux solitudes dans la guerre à finir entre Montréal et Toronto. Or cette guerre est bel et bien terminée et un nouveau front s’ouvre entre Toronto et Calgary !
On est bien loin de l’époque ou on se demandait si le Parlement du Canada devait être situé à Montréal !
Or, il n’y a rien de catastrophique là-dedans… Il faut se rappeler qu’à l’époque des navires de bois, le centre industriel du Canada était sur la côte Est…
Mais il faut être réaliste… Aujourd’hui on voit la Bourse de Montréal réduite à peau de chagrin, le centre financier et les sièges sociaux s’établir à Toronto et à Calgary avec les investissements qui les suivent… Allô le rapport de force !
Ajoutez à cela qu’en 1996, quand nous fêtions nos 18 ans !, 46,5 % des Canadiens étaient d’origine autre que Français ou Britannique… Une proportion qui n’a pu que progresser depuis…
Comment pouvons-nous adhérer à la théorie des deux peuples fondateurs quand nos amis les plus proches mangent du couscous berbère, boivent de l’ouzo et parlent mandarin ? Comment y adhérer dans un Canada ou Terre-Neuve revendique, avec raison selon plusieurs, le statut de Nation et ou les Acadiens ont une fête Nationale ? Deux peuples fondateurs… n’est-ce pas un peu réducteur ?
Selon moi, notre vécu fait en sorte que nous sommes plus réalistes sur l’apport du Québec au sein du Canada. Que nous sommes plus ouverts à considérer le Canada comme un ensemble de groupes distincts, voire nationaux, qui évoluent ensemble au sein du même pays. Pouvons-nous encore revendiquer une part disproportionnée dans les décisions politiques du pays… Si la réponse est oui, ce dont je doute fort, alors pendant combien de temps pourrons-nous ?
3- L’arrivée du fédéralisme d’ouverture/asymétrique
Conséquemment, les institutions politiques canadiennes évoluent beaucoup plus rapidement que la conception québécoise de la politique canadienne. Le fédéralisme d’ouverture ou asymétrique, deux variantes du même concept, est en fait une réponse à la nouvelle réalité canadienne. Pour les gens de notre génération, les premiers à ne pas avoir vécu concrètement les confrontations les plus acerbes entre le Québec et les autres provinces canadiennes, cette évolution des institutions rend le « beau risque » beaucoup plus beau et pas mal moins risqué…
Pour avoir expliqué ces trois événements fondateurs et en avoir conclus qu’il fallait que notre génération serait celle qui pourrait le mieux prendre part à la définition d’un nouveau projet canadien, on a qualifié ma participation au livre d’idéaliste et d’utopiste.
Je suis généralement réfractaire à toute étiquette… Mais si idéaliste signifie « être prêt à sortir des sentiers battus pour redéfinir le projet canadien », alors j’accepte volontiers cette étiquette !
Et je crois que je ne suis pas le seul à l’embrasser… Je crois que nous sommes toute une génération de jeunes qui se préparent à imprégner le Canada d’une nouvelle vision des relations fédéral-provincial. Une génération de jeunes nationalistes québécois et patriotes canadiens… Parce que c’est de ça dont il s’agit : notre Nation est le Québec, mais notre Patrie est le Canada !