Tuesday, June 23, 2009

Un investissement discutable

voici l'original d'un texte publié ce matin dans La Presse:


François Vaillancourt, Professeur au département d’économie de l’Université de Montréal et fellow au CIRANO


Mathieu Laberge, Économiste et directeur de projet au CIRANO

(Source de l'image: http://canadiens.nhl.com)
Quelques heures après que la rumeur de la vente du Canadien de Montréal à la famille Molson ait été confirmée, on faisait déjà valoir que les acheteurs ne bénéficieraient d’aucun support public pour conclure la transaction, même pas du « prêt avec intérêt » qui leur avait été offert par le gouvernement du Québec. Une transaction 100 % privée, en somme. C’est faux, puisque cette transaction représentera un coût de plusieurs millions de dollars pour l’État québécois.

C’est l’implication du Fonds de solidarité de la FTQ dans le groupe d’acheteurs qui vient troubler les cartes. Pour chaque dollar investi dans le Fonds, l’État québécois offre un crédit d’impôt de 15 cents. Si ce placement est fait sous forme d’une contribution à un REER, la valeur de l’aide fiscale passe alors à 39 cents par dollar investi.


On ne connaît pas encore le montant réel de la transaction, ni la valeur de la participation du Fonds de solidarité dans le montage financier. Néanmoins, si le Fonds contribue 50 millions $, soit 10 % de la somme totale de la transaction estimée par les commentateurs, il en coûtera entre 7,5 et 19,5 millions $ au trésor québécois. Sans compter que les mêmes déductions s’appliquent également au niveau fédéral. Bien que le gouvernement ne fasse aucun versement en argent sonnant et trébuchant, ces mécanismes fiscaux représentent tout de même un coût puisque l’État renonce à percevoir un revenu. On appelle cela une dépense fiscale.


Mission : créer et conserver des emplois?
À l’origine, ce traitement privilégié a été consenti aux actionnaires du Fonds de solidarité parce que l’objectif premier de celui-ci est de «de créer, maintenir ou sauvegarder des emplois au Québec
[1]». Cette mesure était fort louable dans le contexte de création du Fonds, en 1983, alors que le taux de chômage était de 14,6 %. Mais quels emplois étaient réellement menacés par la vente du club de hockey?


Peut-être que cet investissement répond alors à l’objectif du Fonds de « stimuler l'économie québécoise par des investissements stratégiques »? Cet argument reste à démontrer. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le départ de l’équipe de Montréal ne semble jamais avoir été réellement envisagé. Dans ces conditions, on voit mal comment le dynamisme économique de la métropole puisse servir de prétexte à l’implication du Fonds. Si au moins cet investissement avait servi à amener les Coyotes de Phoenix à Québec, on aurait alors pu évoquer la stimulation économique!


En somme, bien que la transaction annoncée ce weekend recèle de bonnes nouvelles pour les partisans montréalais du club, elle se conclura avec un coût net pour l’ensemble des Québécois. Sans compter qu’elle s’inscrit apparemment en faux avec les objectifs du Fonds de solidarité. Son président-fondateur, Louis Laberge, a dû se retourner dans sa tombe en voyant pour quelles fins le fonds qu’il a créé fait désormais « appel à l'épargne et à la solidarité de l'ensemble de la population québécoise. »


[1] http://www.fondsftq.com/

Wednesday, June 03, 2009

L’arbre fédéral qui cache les forêts provinciales

Voici l'original d'un texte publié aujourd'hui dans La Presse:

François Vaillancourt, Professeur au département d’économie de l’Université de Montréal et fellow au CIRANO

Mathieu Laberge, Économiste et directeur de projet au CIRANO


Suite à la situation économique difficile, un débat fait rage sur les modifications à apporter au programme d’assurance-emploi. A priori, celui-ci est pertinent. Il semble toutefois que ses principaux acteurs aient perdu de vue qu’une récession entraîne non seulement une hausse du nombre de chômeurs, mais également un allongement de la durée moyenne du chômage. Plus tôt que tard, ce problème de nature fédérale pourrait d’ailleurs faire pâtir les finances publiques provinciales.


De fait, une fois leurs prestations d’assurance-emploi épuisées, les chômeurs n’ont d’autre choix que d’avoir recours aux filets sociaux provinciaux pour faire face à leurs obligations financières. Les données statistiques sur le Québec montrent qu’il y a effectivement un transfert de bénéficiaires du programme d’assurance-emploi vers les programmes d’assistance-sociale. Celui-ci survient environ 12 mois après le début de la période de chômage.
(Source de l'image: http://www.recitus.qc.ca)

Un problème potentiel de finances publiques
Ce transfert de prestataires du programme fédéral vers les programmes provinciaux n’est pas sans causer problème. En période de ralentissement économique, la durée moyenne du chômage s’accroît puisque les travailleurs qui ont perdu leur emploi peinent à s’en trouver un nouveau. Si ce scénario se répète à la faveur de la récession actuelle, les gouvernements provinciaux pourraient être confrontés à une hausse marquée des coûts de leur programme d’assistance-sociale. Or, depuis 1996, ceux-ci ne touchent plus de subventions du gouvernement fédéral liées directement aux dépenses d’aide-sociale.


Il est vrai qu’avec l’adoption du dernier budget fédéral, la durée maximale des prestations a temporairement été allongée de 45 à 50 semaines. Pourtant, les propositions de réforme du programme qui ont le plus fait discuter depuis visent surtout une meilleure accessibilité à l’assurance-emploi. De l’abolition du délai de deux semaines avant de recevoir des prestations à l’uniformisation et à la réduction du nombre d’heures travaillées requis pour être admissible, toutes ces propositions méritent certainement d’être considérées. Elles ne répondent toutefois pas au problème de finances publiques engendré par le transfert des prestataires.
Pis encore, elles abordent la révision du programme d’assurance-emploi isolément, sans tenir compte des effets de ces changements sur les incitations données aux travailleurs. Or, toute modification à l’assurance-emploi a un impact sur l’offre de travail et, par ricochet, sur les entrées fiscales des gouvernements. L’adoption d’une modification apparemment mineure à ce programme peut donc résulter dans une baisse des impôts perçus.

Un peu de recul, svp!
Notre propos ne vise pas à ajouter au fardeau que vivent les familles touchées par les pertes d’emploi. Il ne vise pas non plus à nier la nécessaire révision du programme d’assurance-emploi, dont la dernière réforme date de près de 15 ans.


Nous croyons toutefois qu’il importe d’aborder la modification de ce programme avec un certain recul. Pour prendre les meilleures décisions, il faut sous-peser l’efficacité et l’impact de chaque modification envisagée. Est-ce qu’un nombre d’heures travaillées uniforme pour être admissible est souhaitable? Rendra-t-il les prestations d’assurance-emploi plus faciles à obtenir dans des régions du pays au détriment d’une certaine équité interrégionale? Quel impact aurait une abolition du délai de deux semaines sur la prudence des ménages ? Seraient-ils incités à réduire leur épargne pour les jours plus difficiles? Est-ce que l’allongement actuel des prestations sera suffisant pour éviter d’augmenter les dépenses des gouvernements provinciaux déjà accrues par la récession, entre autre pour participer au programme de relance du gouvernement fédéral?

Le risque sur les finances publiques, notamment provinciales, est trop grand pour se permettre d’adopter une réforme à la pièce. Le Globe and Mail a publié récemment une opinion de Charles Cirtwill, de l’institut AIMS, qui proposait de créer une véritable assurance contre le risque de perte d’emploi en temps de récession. Cette assurance complémenterait le programme actuel d’assurance-emploi, sans empêcher la réforme de celui-ci. Voilà exactement le genre de réflexion structurelle qui doit émerger du débat actuel. Pourquoi compromettre l’étude de ces idées en voulant mettre le couvercle sur la marmite d’ici la fin de la session parlementaire à Ottawa, à la fin du mois de juin?