Saturday, November 18, 2006

L'heure du réveil

L'atteinte des objectifs de Kyoto doit devenir l'affaire de tous, pas seulement des industries

Mathieu LABERGE
Professeur au Collège Gérald-Godin et détenteur d’une maîtrise en économie internationale de l’Université de Nottingham, en Angleterre.

En décembre 2002, le Canada signait officiellement le protocole de Kyoto. Quatre ans plus tard, comme on l'a vu encore cette semaine à Nairobi, le sujet suscite toujours beaucoup de controverse au Canada entre les différents partis politiques et ordres de gouvernement, les groupes de pression et l'industrie.

Mais qu'en est-il du simple citoyen? Depuis quatre ans, les Canadiens ont à peine modifié leurs habitudes néfastes pour l’environnement, encouragés par des mesures incitatives qui n’ont convaincu personne de changer leurs comportements et un discours environnementaliste faisant porter l’odieux des changements climatiques sur le seul dos des industries polluantes. Et si la clé de l’atteinte des objectifs canadiens du protocole de Kyoto se trouvait aussi dans le trousseau de chaque citoyen


L’approche environnementale canadienne, mettant de l’avant une solution essentiellement basée sur des mesures de restriction volontaires pour les citoyens et sur des mesures coercitives pour les industries polluantes, a définitivement démontré son incapacité à lutter contre les changements climatiques. Une comparaison des documents officiels des gouvernements américain et canadien démontre effectivement que de 1990 à 2004, le Canada a systématiquement moins bien performé que les États-Unis en matière de lutte aux émissions de gaz à effet de serre. Le Canada n’atteindra pas ses objectifs de Kyoto dans les temps prévus? C’est une évidence! Mais on ne doit pas baisser les bras pour autant…


Une autre approche est possible
En faisant croire aux citoyens que l’atteinte des objectifs de Kyoto n’aurait que peu d’impact sur leurs habitudes de vie et que les industries polluantes se chargeraient de faire tout le travail, on les a déresponsabilisés face à leurs devoirs environnementaux. Du coup, le Canada s’est privé du formidable effet de levier dont les citoyens disposent sur l’ensemble des entreprises.

Dans l’immédiat, la seule solution qui puisse permettre au pays de rattraper un tant soit peu le retard accumulé dans l’atteinte des objectifs environnementaux auxquels il a souscrit réside dans l’exploitation de ce pouvoir. Si l’industrie continue de mettre en vente des produits dont la fabrication ou l’utilisation est néfaste pour l’environnement, c’est qu’il y a nécessairement des acheteurs pour les acquérir. Le jour où les acheteurs décideront de bouder les produits fortement polluants, les entreprises s’ajusteront en répondant aux nouvelles attentes de leurs clients.

Le cas de la consommation d’essence au cours de l’été dernier est particulièrement évocateur de ce phénomène. Selon les données compilées par Statistique Canada en juin et en juillet dernier, alors que les prix de l’essence frôlaient un dollar le litre, les ventes d’essence de catégorie « super » et « intermédiaires » ont chuté significativement alors que celles de catégorie « ordinaire sans plomb » étaient relativement stables. Il y a donc fort à parier que les acheteurs d’essence de catégories supérieures ont modifié leurs habitudes en achetant de l’essence de moindre qualité. Logiquement, les consommateurs d’essence « ordinaire » auraient donc réduit leur consommation laissant le niveau des ventes globales de ce type de carburant à peu près inchangé. La réaction de l’industrie ne s’est pas fait attendre : certaines grandes chaînes de stations-service ont offert les essences de qualité supérieures au prix de l’essence ordinaire une journée par semaine! Selon les données préliminaires pour le mois d’août, publiées récemment, la situation revenait tranquillement à la normale avec le retour de prix plus courants… et les promotions sont disparues!

La leçon à retenir? Devant un changement permanent des habitudes de consommation des Canadiens, les entreprises ne pourront maintenir de telles promotions indéfiniment et devront nécessairement modifier leur offre de produits sous peine de perdre leur clientèle. Conséquemment, il appartient aux gouvernements de reconnaître l’échec des mesures incitatives et de mettre en place un ensemble de mesures contraignantes envers les particuliers afin mettre à contribution le levier incomparable que représente le pouvoir des acheteurs sur les industries polluantes.

Ce sera nécessairement impopulaire auprès des électeurs, mais si les Canadiens ont réellement à cœur le respect des objectifs canadiens du protocole Kyoto, ils accepteront leurs responsabilités de bonne grâce et sauront reconnaître le courage politique à la base de ce type de décision. « Acheter, c’est voter » a écrit Laure Waridel. Il est grand temps que les élus en prennent acte.

Des commentaires? Écrivez-nous!
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In this paper, published in La Presse on Saturday 18th, I argue that that each Canadian citizen must take part in the achievement of the objectives of Kyoto. Until now, most of the Canadian environmental policies were made to push all the pressure on the industries. But, if those polluting industries are still surviving, and let's say it plainly, making large profits; it's because there are consumers to buy their goods. In short, the next step toward Kyoto is to tax citizens' undesirable behavior, such as overconsuming gaz and chemicals. Laure Waridel, a renowned Quebec's social activist, once wrote: "To buy is to vote". It's now time for our politicians to understand and apply it!

5 comments:

Justine said...

Et si on changeait notre comportement de façon plus radicale? Parce que, tôt ou tard, c'est ça que ça va prendre pour éviter un catastrophe environmentale. Acheter un produit moins nocif pour l'environment, c'est quand même acheter un produit nocif.
Et si on prennait notre bicyclette au lieu d'acheter de la gasoline "moins nocive" pour l'environment? Si on jardinait et cuisinait chez nous au lieu d'acheter des produits exportés, préparés et emballés? Il faut changer de culture, pas simplement changer nos choix de consommation.

Matt said...

Bonjour Justine

le cas de la consommation d'essence cet été n'était qu'un exemple. En fait, ce que je voulais faire ressortir, c'est qu'on pouvait modifier radicalement la consommation d'essence (la réduire considérablement) si on utilisait le pouvoir de taxation du gouvernement pour faire assumer aux particuliers le coût de leur pollution.

Ceci étant dit, je ne crois pas qu'on puisse éradiquer la consommation es produits nocifs, surtout pas le pétrole. Nos sociétés y ont développé une telle dépendance que ça ne devient pensable qu'à très long terme. Bref, j'adhère difficilement au slogan "soyons réalistes: exigeons l'impossible". Le fond de ma pensée se traduirait plutôt (très sommairement) par: "Soyons pragmatiques: chaque pas nous fait progresser". Je crois donc qu'une approche plus coercitive amorcerait un changement plus important.

Je voudrais finalement vous remercier de votre intervention. Rarement des personnes plus critiques viennent écrire sur ce blogue. Et quand elles le font, c'est souvent en personnalisant le débat, sans même critiquer les idées. C'est très apprécier de constater qu'on peut encore échanger et c'est drôlement plus intéressant. Je termine en vous invitant à venir laisser vos commentaires plus souvent ici!

Au plaisir de vous relire!

Justine said...

Bonjour Mathieu,

Je suis tout à fait d'accord avec votre intention comme vous le résumez dans votre premier paragraphe. C'est tout à fait normal que ceux qui polluent le plus devrait assumer une plus grande partie des coûts de leur comportement.

Le point que je voulais ammener c'est qu'il y a tout un segment de la population qui va continuer à se comporter de manière irrésponsable face à l'environnement. Plus précisément, ce sont ceux que ont le goût du luxe, et l'argent (ou de notre génération, le crédit) pour se le permettre, alors taxés ou pas taxés, ils vont continuer à acheter des Hummer et autre conneries. En fait, je crois que plus les taxer, ça peut même nuire à la cause, car d'un côté, ça rend le produit plus dispendieux, et donc encore plus "de luxe" et désiré davantage (comme les marques Louis Vuitton et autres savent très bien); et d'un autre côte, ça peut aussi aider à leur faire sentir déchargés de responsabilité: "J'ai payé mes taxes, fichez-moi donc la paix avec vos sermons de culpabilité environnementale!"

Je suis d'accord avec vous qu'il vaut mieux croire que chaque pas fait progrésser que de vivre dans la négation et le péssimisme; mais face aux graves problèmes de la santé de notre planète, il ne faut pas se laisser bercer. À mon avis, ça prend carrément un changement de culture, chose difficile à faire parce que ça va à l'encontre de tout le marketing auquel nous sommes sujet. Taxer l'essence (et je comprends que ce ne fût qu'un exemple) ne sera qu'un petit pansement sur un gros méchant cancer.

Merci d'échanger d'idées avec moi!

Anonymous said...

Bonjour monsieur Laberge,

En premier lieu, j'aimerais vous dire que j'adore vous lire dans La Presse et, notamment, j'affectionne beaucoup votre approche de responsabilisation des individus (du moins, c'est comme ça que je la perçois).
Pour parler du sujet présent, je vous dirais que je suis particulièrement sceptique concernant toute la question du réchauffement climatique. Qu'il y ait réchauffement climatique, c'est fort probable, il y en a déja eu par le passé. Qu'il y ait une origine anthropique audit réchauffement, c'est quelque chose qu'il est également permis de penser. Par ailleurs, qu'un tel réchauffement soit porteur exclusivement des pires maux que la Terre ait à endurer me laisse particulièrement songeur. Que ce soit en environnement ou dans tout autre domaine, un changement peut être bénéfique à un certain groupe et moins bénéfique pour un autre. Je n'ai vraiment pas de fleurs à transmettre aux médias dans le traitement de cette information. Ils ne font guère plus qu'être une courroie de transmission des mauvaises nouvelles plutôt qu'aider l'émergence d'un réflexion saine en présentant les opinions contraires aux visions catastrophiques des groupes environnementalistes. Voici quelques questions de réflexion: 1) Ne serait-ce pas davantage dommageable que les gaz à effet de serre aient un effet de refroidissement plutôt que de réchauffement 2) Est-ce que le réchauffement climatique n'entraine pas lui-même un effet modulateur (quand il fait plus chaud, on a moins besoin de chauffer la cabane d'où un gain énergétique?) 3)Avant d'engager une multitude de milliards dans ce domaine, avons-nous vraiment évaluer tous les principaux facteurs de risque environnementaux (pollution etc.) et déterminé que le plus important était ce réchauffement climatique (j'ai entendu dire que nos usines d'épurations des eaux étaient vieillissantes, qu'arrivera-t-il quand elles seront hors d'usage et qu'il n'y aura plus de milliards pour les remplacer?) 4) Quel est la place de ce problème environnemental parmi l'immensité des autres problèmes avec lesquels l'Humanité doit composer (guerre, famine, catastrophes naturelles, maladies de tout genre)? 5)Pourquoi dit-on qu'il fait beau quand il fait chaud? 6) Le principal gaz à effet de serre est le CO2, gaz parfaitement recyclable dans les cycles biologiques naturels. Ne devrait-on pas s'alarmer de l'émission des polluants synthétiques non biodégradables et bioaccumulables dans la chaîne alimentaire? etc. etc. etc.
Merci et bonne journée

Jacques Tremblay
Montréal

Matt said...

Bonjour à vous deux!

à Justine, d'abord:
Tout à fait d'accord avec le besoin de changement de culture, vers la consommation à une culture de durabilité... et pas seulement au point de vue environnemental. Ceci étant dit, un changement de culture est long à susciter: c'est un travail au-delà d'une, voire deux, générations. Notre génération est la première à avoir connu le recyclage de masse... laissons aussi le temps au gens d'adapter leur comportement! Bref, avant que tous le monde ne soit conscientisé aux méfaits de la consommation de biens polluants, nous devrons continuer à lutter.

Aussi, je ne crois pas qu'on puisses éradiquer la consommation de produits polluants, même avec un changement radical de culture. Et je crois également qu'on doive tolérer que des gens préfèrent payer pour polluer plutôt que de changer leur comportement. S'ils paient le prix du traitement de la pollution qu'ils engendrent (la dépollution...) je ne vois pas le problème à ce qu'ils continuent de polluer... tant qu'ils continuent de payer! L'important n'est pas de faire disparaître le méchant pétrole ou les cfc ou quoique ce soit d'autre. Le but est que ceux qui polluent en assument les coûts complets, incluant la dépollution!

À M. Tremblay:
Merci beaucoup de me faire part de votre appréciation... ça fait toujours du bien! Aussi, vos perceptions sont bonnes: je prône effectivement la responsabilisation des citoyens aux effets de leurs choix et de leurs comportements (je suis économiste, après tout!)

Je partage à certains égards votre point de vue quant aux réchauffements climatiques. Ils sont bien réels... on ne peut le nier. Mais doit-on nécessairement attribuer l'ensemble des changement climatiques à la pollution ou n'y a-t-il pas une part explicable par un réchauffement cyclique normal? Ce qui me semble certain, c'est que la Terre connaît actuellement un réchauffement anormalement rapide, et que les activités humaines polluantes sont vraisemblablement à la base de ce surcroît de réchauffement. Il faut donc agir rapidement et radicalement pour faire en sorte que la situation ne cesse d'empirer!

Je trouve d'ailleurs que vos questions de réflexion méritent d'être posées. À tout le moins, elles remettent le débat dans sa globalité... Certaines sont plus ludiques (beau vs chaud) alors que d'autres méritent une recherche plus active: importance relative du réchauffement et de ses causes, polluants synthétiques, etc.

Encore une fois, merci à vous deux de venir commenter mes papiers: c'est du brassage d'idées que jailli les nouvelles solutions! Revenez souvent et faites-moi partageer vos réflexions!

Au plaisir!

Matt