Wednesday, August 22, 2007

40e anniversaire des collèges - Les cégeps ont plutôt mal vieilli

(texte publié dans Le Devoir et Le Soleil)
Mathieu LABERGE
Économiste à l’Institut économique de Montréal
Enseignant dans le réseau collégial de 2006 à 2007
Vice-président de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) en 1999-2000

Les temps ont bien changé depuis l’instauration du réseau collégial, en 1967. Alors que les cégeps ont bel et bien contribué à augmenter le niveau de scolarisation des Québécois, force est de constater qu’ils sont maintenant mal outillés pour faire face à la décroissance de leur clientèle et aux nouveaux besoins du marché du travail. Les débats entourant le Forum sur l’avenir de l’enseignement collégial, tenu en 2004, n’avaient apporté que des modifications cosmétiques au fonctionnement du réseau collégial. Il semble désormais que le 40e anniversaire des cégeps soit le moment privilégié pour amorcer une réflexion constructive sur leur fonctionnement.

Qu’obtient-on en créant 48 institutions scolaires, dont plusieurs sont désormais vivotantes, disséminées sur le territoire québécois plus en fonction d’aléas politiques qu’en regard des besoins? En leur retirant ensuite la possibilité de se démarquer les unes des autres, tant par une offre de formation en pratique uniforme que par l’impossibilité d’imposer des droits de scolarité? On obtient les cégeps, qui sont plus que jamais confrontés au besoin d’une refonte majeure de leur mode de fonctionnement!

La plupart des collèges offrent les mêmes programmes – notamment sciences humaines et sciences de la nature au secteur préuniversitaire; techniques administratives et informatique au secteur technique – sans égard au nombre d’institutions qui se partagent le territoire. Comme le diplôme d’études collégiales est décerné uniformément par le ministre de l’Éducation, les collèges ne sont pas incités à développer des « créneaux de formation » pour se démarquer des autres institutions et attirer un plus grand nombre d’étudiants. Ils ne peuvent pas non plus se concurrencer par une variation des coûts de formation, puisqu’il leur est interdit d’imposer des droits de scolarité. Au cégep, on paie pour tout ce qui entoure l’enseignement, mais pas pour l’enseignement lui-même!

Parallèlement au manque de flexibilité auquel elles sont confrontées, les institutions collégiales se disputent une clientèle qui diminue d’année en années. De 2000 à 2005, la fréquentation des établissements collégiaux a diminué de 4 %. On prévoit que la situation ira en se détériorant pour les sept prochaines années, particulièrement pour les régions québécoises.

Responsabiliser les institutions
S’il est toujours nécessaire de procéder à une évaluation rigoureuse de la qualité de l’enseignement afin de garantir une formation collégiale de qualité sur l’ensemble du territoire québécois, comme le fait actuellement la Commission d’évaluation de l’enseignement collégial, le maintien du diplôme d’études collégiales provincial devrait être questionné. Les cégeps gagneraient à faire varier leur offre de formation en pouvant décerner localement leur propre diplôme. À preuve, les rares initiatives locales de programmes innovateurs ont été couronnées de succès. Qu’on pense au programme d’art et technologie des médias au Cégep de Jonquière – qui attire chaque année des étudiants en région - ou aux programmes d’audioprothèse ou d’acupuncture au Collège de Rosemont à Montréal. En les habilitant à décerner leur propre diplôme, on donnerait l’incitation aux collèges de fournir un large éventail de formations diversifiées et originales, qui répondraient mieux aux besoins des étudiants; ce que ne fait pas l’actuel diplôme provincial.

Comme à l’université, il faudrait également considérer la possibilité d’imposer des droits de scolarité au niveau collégial. Puisqu’ils en récoltent les fruits plus que quiconque, notamment sous forme de salaires accrus après la diplomation, il est normal que les étudiants participent activement au financement de leur éducation. Qui plus est, l’arrivée de droits de scolarité au collégial donnerait aux étudiants une information sur la valeur des services d’éducation qu’ils reçoivent, en plus de les inciter à avoir une réflexion sérieuse sur leurs choix d’études et d’institution d’enseignement.

Les cégeps, et à plus forte raison les étudiants du réseau collégial, sortiraient gagnants d’une plus grande concurrence. Les institutions les plus performantes et celles qui offrent la meilleure formation verraient leurs efforts récompensés. Celles qui tirent de l’arrière pourraient apprendre de ces expériences et s’adapter en conséquence. À terme, c’est l’ensemble des Québécois qui bénéficieraient d’une meilleure formation et d’une préparation plus adéquate aux exigences du marché du travail.
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In this paper, published in Le Devoir and Le Soleil, I argue that we should consider a deep reform of the CEGEPS, the Quebec's mid-level postsecondary education institutions. As cegeps had helped to raise the overall schooling rate in Quebec since 1967, they are now ill-prepared to face a reduction in their population and new demands for education linked to the employment market. In practice, the cegeps cannot compete for the students since they are forbiden to charge tuition fees and they all offer the same basic educationnal programs. At the same time, they are sharing a smaller population of students.
I defend the view that we should take to immediate actions to allow more competition among cegeps. First, they should be able to deliver their own institutionnal diploma, in opposition to the actual provincial diploma delivered by the Minister for education on the behalf of the institutions. Second, we should allow cegeps to charge tuition fees and those fees should vary among institutions. This reform would result in more innovation, with the best institutions being granted more freedom and recognition and the other having to adapt to survive. Both students and Quebec province would benefit from higher standard of collegial education.

6 comments:

Anonymous said...

Tiens donc, à l'instar d'Elvis Gratton, je vois que tu écris "directement bilingue".

Alors, continue comme ça, your work is very good and je pense que tu vas aller loin in the life.

Après tout, we always need an economist pour expliquer au pauvre peuple les lois du marché, ces lois indiscutables qui assurent la bonne marche de la société.

I do not like the Chasse aux sorcières, mais c'est vrai que tu vieillis mal...

Matt said...

Je n'ai pas l'intention d'expliquer mon choix de publier dans les deux langues officielles. Je n'y vois rien à justifier ou à défendre et je trouves cela plutôt positif.

Si "vieillir mal" c'est avoir une réflexion pragmatique, exempte d'idéologisme ou de dogmatisme, alors je vieilli effectivement très mal! Merci du compliment!

Matt said...

D'ailleurs j'admire le courage sans borne des commentateurs anonymes... Pauvres eux!

Anonymous said...

Longue vie aux commentateurs anonymes! And long life to them too!

Frédéric Leduc said...

Je suis pour un débat sain, pas pour les niaiseries telles que celles que "anonymous" a pu dire.

Par contre, de dire que ce que vous avancez est exempt d'"idéologies", il ne faudrait quand même pas aller trop loin. Tout être humain a ses croyances: on ne peut y échapper. Déjà, en énonçant la phrase qui précède, j'énonce une croyance.

Il y a un truc qui m'échappe dans votre chronique. C'est lorsque vous affirmez qu'un étudiant, après ses études, sera le plus grand bénéficiaire du ou des diplômes qu'il aura obtenu(s). Cause à effet: il doit donc payer pour ça. Au fait, toute sa vie, il paiera évidemment plus d'impôts que les autres, ce qui fait qu'il contribuera de cette façon. Par contre, si nous augmentons les frais de scolarité, c'est un plus petit nombre de gens qui pourra bénéficier des hautes études.

Et de dire que "les temps ont bien changé" ne constitue pas une prémisse valable.

J'aurais quand même une question: est-il vraiment nécessaire de "privatiser" le savoir?

Bonne journée

Matt said...

Bonjour Médiatomane
d'abord, merci de collaborer à instaurer un débat d'idées et de contribuer à la réflexion dans le respect et la politesse.

Je suis en fait d'accord avec vous: nous avons tous nos convictions, moi le premier! Néanmoins, quand je publie un papier j'essai de mettre mes convictions personnelles de côté autant que faire se peut: j'écris à titre d'économiste et, à ce titre, j'essais de représenter le point de vue de la science économique sur un sujet.

Quand j'affirme que les étudiants sont les premiers à profiter de leur éducation et que, conséquemment, il est normal qu'ils participent à son financement, je veux dire que le rendement de l'éducation pour l'individu est plus important que pour la société dans son ensemble. Oui, ils paient plus d'impôts et à ce titre, ils génèrent un rendement social de l'ordre de 9 % (différence cégep/bacc) alors que leur rendement privé (en termes d'augmentation du revenu) est de l'ordre de 17 %. Bref, il y a encore place à une plus grande contribution de leur part.

Les temps ont bien changé: le Québec est plus éduqué, plus prospère, mais peine toujours à combler son retard avec l'Ontario et les autres provinces canadiennes... Là, je penses que vous "gossez des poils de grenouilles"! (ceci dit sans affront personnel)

Finalement, je ne vois pas où vas votre commentaire sur la privatisation du savoir. Ce n'est pas ce que j,ai proposé: mes propositions peuvent s'appliquer sous propriété publique, comme privée, des cégeps.

Sincèrement,
Matt