LE PHÉNOMÈNE DE LA FREAK-ÉCONOMIE
Il y a un phénomène qui prends de plus en plus de place chez les économistes : la freak-économie… ou comment la science économique permet d’expliquer nos comportements sociaux de tous les jours… Aujourd’hui j’ai décidé de vous présenter un survol de cette discipline qui a débuté dans les années 1960 avec Gary Becker de l’Université de Chicago qui a gagné un prix Nobel d’économie en 1992. Steven Livett de l’Université Harvard a quant à lui donné le nom courant à ce type de théories économiques en publiant Freakeconomics il y a quelques années.
En ce samedi de Pâques, quoi de mieux pour parler d’économie des comportements sociaux que de commencer par regarder la religion avec la loupe de l’économiste? Je ne suis pas certain que Benoit 16 sera d’accord avec cette vision des choses, mais bon… Alors, qu’est-ce que l’économie a à dire sur la pratique religieuse???
LE MARCHÉ DES RELIGIONS
Le fondateur de la science économique, Adam Smith, en 1791, a été le premier à aborder les religions comme n’importe quel autre « bien » ou organisation, c’est-à-dire en termes d’offre et de demande pour les religions. Il a avancé qu’il y avait un marché des religions et que celles-ci se faisaient concurrence pour obtenir la faveur des ouailles!
Smith est même allé plus loin en appliquant l’analyse des structures de marché aux religions, ce qui lui a fait dire qu’une religion d’État ou en situation de monopole, comme l’Église catholique ou l’Église d’Angleterre (ce sont ses exemples!), auraient tendance à devenir moribondes et non innovantes. Bref, si on lui garanti une certaine affluence et un financement stable, le clergé est tenté de délaisser le « service à la clientèle » pour s’engager dans d’autres activités : la politique, les arts, etc. Tiens donc…
D’autres économistes, comme Barro en 2003, ont tenté d’expliquer la vitalité religieuse américaine par cette théorie du marché des religions. Comme les groupes religieux sont plus nombreux aux États-Unis, la concurrence est plus féroce. Pour garder leurs fidèles, les groupes religieux américains doivent fournir à leurs membres soit des services, soit de nouvelles façons d’exprimer leur foi… publiquement si possible pour en attirer d’autres! D’où les soupes populaires, le support aux familles et aux démunis, la mission d’éducation, etc. Dans la même étude sur un ensemble de pays occidentaux, Barro conclut que le pluralisme religieux encourage la participation des fidèles!
LA RELIGION COMME PLACEMENT
Du point de vue individuel aussi, l’économie a des choses à dire sur la pratique religieuse. En effet, si globalement la participation religieuse peut dépendre des conditions du marché des religions, le choix individuel de participer à une religion peut aussi être influencé par des facteurs « économiques » au sens large.
Par exemple, comme la plupart des religions « vendent » le concept de « vie après la mort », on pourrait croire que les gens qui pratiquent une religion cherchent à « acheter leur ciel ». En termes économiques, ces gens cherchent à maximiser leur bien être dans leurs deux vies : celle-ci et la vie après la mort… Dans ce contexte, la pratique religieuse deviendrait une sorte de placement pour s’assurer une « vie après le mort » qui soit agréable!
Différentes études économiques ont trouvé que la pratique religieuse augmentait avec la foi dans une vie après la mort et avec l’âge… Elles ont également trouvé qu’il y avait plusieurs sortes de substituts religieux : les personnes dont le salaire est bas fréquentent proportionnellement plus les lieux de culte, l’église. Alors que les personnes dont le salaire est plus élevé, donc dont la valeur du temps est grande, fréquentent moins les lieux de culte mais versent plus de contributions en argent! Tous les chemins mènent au paradis!
LA DRAGUE EN LIGNE
Mais trêve de « bon dieuseries »!
Il y a d’autres domaines des comportements sociaux pour lesquels l’économie a quelque chose à dire!
Par exemple, l’existence des sites de rencontre en ligne!
On a remarqué que les membres des sites de rencontre étaient généralement âgés entre 25 et 45 ans, qu’ils étaient en moyenne plus éduqués et qu’ils occupaient un emploi, souvent dans le domaine professionnel… Pourquoi?
Éh bien, ça serait en partie parce que ces caractéristiques sont aussi celle de gens dont la valeur du temps, le coût d’opportunité en termes économiques, est élevée. Le flirt en ligne leur permettrait donc de conclure la « transaction », qui est de trouver un partenaire, plus efficacement que la drague traditionnelle!
Pensez-y… Avec la drague traditionnelle vous devez vous déplacer vers un bar, scruter la faune pour identifier des candidats potentiels, trier les candidats au gré des conversations…
Toutes des activités qui prennent du temps et qui ne se retrouvent pas dans la drague en ligne. Vous pouvez vous connecter de la maison, le moteur de recherche identifie les candidats potentiels à votre place et vous obtenez beaucoup d’information d’un seul clic!
Et remarquez bien que les sites de rencontre s’ajustent en conséquence… ils offrent des outils aux compétiteurs pour se démarquer : membres payants, cadeaux, clin d’oeils… Ils offrent aussi des outils pour juger de la véracité des informations : albums photos, web caméras et… membership payant (signal de richesse…)
LA SEXUALITÉ… VUE PAR UN ÉCONOMISTE!
Alors, comme on a commencé cette chronique très pieusement, avec le sujet de la religion, on va la terminer avec un sujet un peu plus salé! Les mœurs sexuelles revues par les économistes!
Effectivement, Richard Posner, a publié en 1992 Sex and Reason, un traité sur l’économie de la sexualité. Dans son livre, il a parcouru l’Histoire de la sexualité de la Grèce antique à aujourd’hui en essayant d’évaluer l’offre et la demande pour des partenaires sexuels ainsi que les déterminants du marché…
Il a trouvé que la rareté relative des hommes ou des femmes avait un impact sur les pratiques sexuelles d’une époque… notamment parce qu’il existe des substituts à la sexualité traditionnelle.
Par exemple, alors que les femmes grecques étaient enfermées au gynécée, c’est-à-dire pratiquement séquestrées et « sorties du marché », la pratique homosexuelle proliférait.
Un philosophe avec qui je discutais récemment me faisait d’ailleurs remarquer que c’est à Sparte que les relations sexuelles entre femmes étaient les plus courantes dans la Grèce antique… puisque les hommes étaient constamment partis à la guerre.
À d’autres moments de l’histoire, il note que des institutions sont nées pour contrôler l’offre et la demande pour des partenaires. Il prend l’exemple des monastères du Moyen Âge qui sont survenus alors que les jeunes hommes peinaient à se trouver une conjointe puisque la mode était une grande différence d’âge dans les couples…
Dans la même veine, certaines innovations ou certains changements comme la pilule anticonceptionnelle, l’arrivée des femmes sur le marché du travail et les programmes sociaux de soutient aux familles monoparentales réduisent le coût associé à une rupture du couple…
Bref, Posner démontre de façon assez convaincante qu’il y a aussi des comportements de marché derrière notre quête d’un partenaire sexuel et que les pratiques en la matière évoluent au gré de la rareté relative d’un des deux sexes…
CONCLUSION
Évidemment qu’il est déraisonnable de croire que l’économie peut tout expliquer de la religiosité, de la recherche de partenaires et des pratiques sexuelles… Il reste une grande part d’émotion et d’arbitraire dans ces comportements. Mais la science économique peut tout de même contribuer à identifier la part de rationalité qui les guide.
C’est le cas, dans le fond, parce que la rationalité économique est au cœur de chacun d’entre-nous et qu’elle est profondément ancrée dans l’être humain. Avec les exemples qu’on a eu ce matin, je dirais même qu’elle est présente en nous de la tête aux pieds… et même ailleurs!
Il y a un phénomène qui prends de plus en plus de place chez les économistes : la freak-économie… ou comment la science économique permet d’expliquer nos comportements sociaux de tous les jours… Aujourd’hui j’ai décidé de vous présenter un survol de cette discipline qui a débuté dans les années 1960 avec Gary Becker de l’Université de Chicago qui a gagné un prix Nobel d’économie en 1992. Steven Livett de l’Université Harvard a quant à lui donné le nom courant à ce type de théories économiques en publiant Freakeconomics il y a quelques années.
En ce samedi de Pâques, quoi de mieux pour parler d’économie des comportements sociaux que de commencer par regarder la religion avec la loupe de l’économiste? Je ne suis pas certain que Benoit 16 sera d’accord avec cette vision des choses, mais bon… Alors, qu’est-ce que l’économie a à dire sur la pratique religieuse???
LE MARCHÉ DES RELIGIONS
Le fondateur de la science économique, Adam Smith, en 1791, a été le premier à aborder les religions comme n’importe quel autre « bien » ou organisation, c’est-à-dire en termes d’offre et de demande pour les religions. Il a avancé qu’il y avait un marché des religions et que celles-ci se faisaient concurrence pour obtenir la faveur des ouailles!
Smith est même allé plus loin en appliquant l’analyse des structures de marché aux religions, ce qui lui a fait dire qu’une religion d’État ou en situation de monopole, comme l’Église catholique ou l’Église d’Angleterre (ce sont ses exemples!), auraient tendance à devenir moribondes et non innovantes. Bref, si on lui garanti une certaine affluence et un financement stable, le clergé est tenté de délaisser le « service à la clientèle » pour s’engager dans d’autres activités : la politique, les arts, etc. Tiens donc…
D’autres économistes, comme Barro en 2003, ont tenté d’expliquer la vitalité religieuse américaine par cette théorie du marché des religions. Comme les groupes religieux sont plus nombreux aux États-Unis, la concurrence est plus féroce. Pour garder leurs fidèles, les groupes religieux américains doivent fournir à leurs membres soit des services, soit de nouvelles façons d’exprimer leur foi… publiquement si possible pour en attirer d’autres! D’où les soupes populaires, le support aux familles et aux démunis, la mission d’éducation, etc. Dans la même étude sur un ensemble de pays occidentaux, Barro conclut que le pluralisme religieux encourage la participation des fidèles!
LA RELIGION COMME PLACEMENT
Du point de vue individuel aussi, l’économie a des choses à dire sur la pratique religieuse. En effet, si globalement la participation religieuse peut dépendre des conditions du marché des religions, le choix individuel de participer à une religion peut aussi être influencé par des facteurs « économiques » au sens large.
Par exemple, comme la plupart des religions « vendent » le concept de « vie après la mort », on pourrait croire que les gens qui pratiquent une religion cherchent à « acheter leur ciel ». En termes économiques, ces gens cherchent à maximiser leur bien être dans leurs deux vies : celle-ci et la vie après la mort… Dans ce contexte, la pratique religieuse deviendrait une sorte de placement pour s’assurer une « vie après le mort » qui soit agréable!
Différentes études économiques ont trouvé que la pratique religieuse augmentait avec la foi dans une vie après la mort et avec l’âge… Elles ont également trouvé qu’il y avait plusieurs sortes de substituts religieux : les personnes dont le salaire est bas fréquentent proportionnellement plus les lieux de culte, l’église. Alors que les personnes dont le salaire est plus élevé, donc dont la valeur du temps est grande, fréquentent moins les lieux de culte mais versent plus de contributions en argent! Tous les chemins mènent au paradis!
LA DRAGUE EN LIGNE
Mais trêve de « bon dieuseries »!
Il y a d’autres domaines des comportements sociaux pour lesquels l’économie a quelque chose à dire!
Par exemple, l’existence des sites de rencontre en ligne!
On a remarqué que les membres des sites de rencontre étaient généralement âgés entre 25 et 45 ans, qu’ils étaient en moyenne plus éduqués et qu’ils occupaient un emploi, souvent dans le domaine professionnel… Pourquoi?
Éh bien, ça serait en partie parce que ces caractéristiques sont aussi celle de gens dont la valeur du temps, le coût d’opportunité en termes économiques, est élevée. Le flirt en ligne leur permettrait donc de conclure la « transaction », qui est de trouver un partenaire, plus efficacement que la drague traditionnelle!
Pensez-y… Avec la drague traditionnelle vous devez vous déplacer vers un bar, scruter la faune pour identifier des candidats potentiels, trier les candidats au gré des conversations…
Toutes des activités qui prennent du temps et qui ne se retrouvent pas dans la drague en ligne. Vous pouvez vous connecter de la maison, le moteur de recherche identifie les candidats potentiels à votre place et vous obtenez beaucoup d’information d’un seul clic!
Et remarquez bien que les sites de rencontre s’ajustent en conséquence… ils offrent des outils aux compétiteurs pour se démarquer : membres payants, cadeaux, clin d’oeils… Ils offrent aussi des outils pour juger de la véracité des informations : albums photos, web caméras et… membership payant (signal de richesse…)
LA SEXUALITÉ… VUE PAR UN ÉCONOMISTE!
Alors, comme on a commencé cette chronique très pieusement, avec le sujet de la religion, on va la terminer avec un sujet un peu plus salé! Les mœurs sexuelles revues par les économistes!
Effectivement, Richard Posner, a publié en 1992 Sex and Reason, un traité sur l’économie de la sexualité. Dans son livre, il a parcouru l’Histoire de la sexualité de la Grèce antique à aujourd’hui en essayant d’évaluer l’offre et la demande pour des partenaires sexuels ainsi que les déterminants du marché…
Il a trouvé que la rareté relative des hommes ou des femmes avait un impact sur les pratiques sexuelles d’une époque… notamment parce qu’il existe des substituts à la sexualité traditionnelle.
Par exemple, alors que les femmes grecques étaient enfermées au gynécée, c’est-à-dire pratiquement séquestrées et « sorties du marché », la pratique homosexuelle proliférait.
Un philosophe avec qui je discutais récemment me faisait d’ailleurs remarquer que c’est à Sparte que les relations sexuelles entre femmes étaient les plus courantes dans la Grèce antique… puisque les hommes étaient constamment partis à la guerre.
À d’autres moments de l’histoire, il note que des institutions sont nées pour contrôler l’offre et la demande pour des partenaires. Il prend l’exemple des monastères du Moyen Âge qui sont survenus alors que les jeunes hommes peinaient à se trouver une conjointe puisque la mode était une grande différence d’âge dans les couples…
Dans la même veine, certaines innovations ou certains changements comme la pilule anticonceptionnelle, l’arrivée des femmes sur le marché du travail et les programmes sociaux de soutient aux familles monoparentales réduisent le coût associé à une rupture du couple…
Bref, Posner démontre de façon assez convaincante qu’il y a aussi des comportements de marché derrière notre quête d’un partenaire sexuel et que les pratiques en la matière évoluent au gré de la rareté relative d’un des deux sexes…
CONCLUSION
Évidemment qu’il est déraisonnable de croire que l’économie peut tout expliquer de la religiosité, de la recherche de partenaires et des pratiques sexuelles… Il reste une grande part d’émotion et d’arbitraire dans ces comportements. Mais la science économique peut tout de même contribuer à identifier la part de rationalité qui les guide.
C’est le cas, dans le fond, parce que la rationalité économique est au cœur de chacun d’entre-nous et qu’elle est profondément ancrée dans l’être humain. Avec les exemples qu’on a eu ce matin, je dirais même qu’elle est présente en nous de la tête aux pieds… et même ailleurs!
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Here is the texte (in French) of a presentation I made at Ouvert le samedi, a radio program of the French national radio.