J’aimerais d’abord vous remercier de m’inviter à prendre la parole devant vous.
C’est évidemment un grand honneur pour moi de venir faire une présentation devant un parterre composé de mes pairs.
C’est d’autant plus un honneur, qu’on m’a demandé de parler d’un sujet – les PPP - où je suis intimement convaincu que nous, les économistes québécois, avons encore beaucoup de travail pédagogique à accomplir.
On le sait, les PPP suscitent beaucoup de méfiance au Québec. Certains y voient l’expression du « vieux fond catholique » des Québécois réfractaires à l’esprit d’entreprise et au profit.
D’autres, comme Joseph Facal, croient que cette méfiance tire sa source d’un attachement à l’État québécois, qui a été un vecteur de développement.
Chose certaine, il y a une progression dans l’opinion qu’ont nos concitoyens des PPP. En 2007, 69 % des Québécois se disaient très ou plutôt d’accord avec la formation de PPP. Il s’agit d’une nette progression par rapport à 2005.
Pour ma part, je vois dans cette méfiance une méconnaissance et une mauvaise compréhension des PPP.
Et j’en profite pour revenir sur le thème de ce panel : « Doit-on avoir peur des PPP ? »
C’est un peu comme demander à un panel de Chefs cuisiniers : « Doit-on craindre le robot culinaire? » Ou encore la cocotte-minute?
La réponse la plus vraisemblable est probablement : « Non, si on l’utilise comme il faut »
Personne ne craint le robot culinaire à moins de s’y être mis la main pendant qu’il était en marche…
Comme tout autre outil, les PPP sont inoffensifs… si on les utilise comme il faut. La question me semble alors beaucoup plus complexe : « En 2008, au Québec, a-t-on les institutions et les mécanismes nécessaires pour utiliser correctement les PPP? »
CONDITIONS EN TROIS TEMPS
Le premier a trait à la légitimité et à la transparence. Il requiert notamment :
· un engagement politique clair et constant;
· une démarche transparente et publique;
· Des règles de transitions pour les employés qui sont claires et connues.
Il y a un ensemble de projets de PPP qui ont échoués parce qu’ils ne rencontraient pas un ou plusieurs des facteurs de réussite que je vais aborder. Vous me permettrez toutefois d’aborder essentiellement des exemples liés au réseau routier, pour deux raisons. D’abord, le nombre de succès et d’échecs de P3 dans ce domaine est important. Ensuite, l’implication historique du secteur privé dans les projets routiers en fait une bonne base de démarrage d’une première vague de P3.
Parmi les échecs relatifs au manque de transparence et de légitimité, j’aimerais rapidement revenir sur le cas de la Hongrie.
En 17 ans, la politique hongroise en matière de PPP a changé quatre fois d’orientation, soit en moyenne à chaque changement de gouvernement. La politique officielle est passée de la promotion des PPP, au retour au mode de réalisation traditionnel, en passant par la réouverture des contrats. C’est aussi en Hongrie que le jugement des expériences des PPP a été parmi les plus sévères.
Ça me semble être un bon exemple de ce qu’il ne faut exactement pas faire…
Au Québec, il semble que la Politique-cadre sur les PPP, adoptée en 2004, répond au moins partiellement aux impératifs de légitimité et de transparence :
· Elle détermine les conditions générales pour avoir recours à un P3;
· Elle prévoit la transition des employés du secteur public au secteur privé.
Il me semble toutefois que nous ayons encore du chemin à parcourir avant que le processus de délégation soit totalement transparent.
Par la nature de leur tâche, il y a des choses que les politiciens ne peuvent tout simplement pas dire. Ça contribue à obscurcir la démarche de réalisation des projets publics en PPP.
Je crois qu’un des rôles que nous devons embrasser comme économistes, est de faire la lumière sur ces non-dits relatifs aux P3. Par exemple :
· Qu’il y a une courbe d’apprentissage à la réalisation en mode de PPP. Les économies générées ne seront peut-être pas au rendez-vous dès le premier projet, mais plus nous en ferons, plus nous serons habiles avec cet outil. Comme dans tout processus d’apprentissage, il faut accepter qu’il y ait des erreurs de commises au début pour ensuite profiter de notre expérience;
· L’autre grand non-dit en matière de PPP, c’est qu’il faudra s’ouvrir aux partenaires privés de l’étranger. Nos entreprises n’ont que peu d’expérience en partenariats public-privé et, pour dire franchement, plusieurs sont carrément réfractaires à assumer un risque supplémentaire. Mettez-vous à leur place! Ils ont la possibilité de réaliser un profit quand même appréciable, en prenant en charge un risque minimal. Pour elles, réaliser un PPP, c’est prendre la chance d’augmenter son profit, mais également de devoir assumer un risque important.
Il faudra donc les accompagner et les associer à des entreprises internationales expérimentées en la matière. Rappelez-vous l’émergence de SNC, avec la réalisation des grands chantiers hydroélectriques. Au début, SNC était un partenaire minoritaire, et elle a progressée… jusqu’à devenir un joueur majeur dans le monde. Et maintenant, c’est elle qui va apprendre aux autres!
Maintenant, c’est bien certains que des entreprises voudront prendre le moins de risque possible et avoir la plus grande part du projet… Bref, avoir le beurre et l’argent du beurre… Mais on sait bien que c’est impossible et même que ce n’est pas souhaitable. Quand je vous disais que nous aurions à faire preuve de pédagogie!
Un second ensemble de facteurs de réussite a trait au cadre institutionnel. Il requiert notamment:
· Une évaluation rigoureuse et indépendante des différents modes de réalisation;
· Un suivi et un contrôle adéquat;
· Des objectifs clairs et stables.
De façon assez intéressante, les succès comme les échecs présentés ici ont un point en commun : la présence ou l’absence d’une agence indépendante dédiée à la supervision du processus de réalisation du PPP.
Le seul qui en ait eu une formellement constituée est le projet du Cross-Israël Highway, mais on estime que plusieurs projets ont un organe informel qui joue le même rôle. C’est notamment le cas du Pont de la Confédération à l’Île-du-Prince-Édouard. Tous les projets mentionnés comme échec étaient pilotés directement par les instances politiques.
Le recours aux instances politiques est une habitude bien implantée dans nos mœurs. Encore la fin de semaine dernière, l’Association des ingénieurs-conseils du Québec déplorait la trop grande implication des avocats et des comptables dans le processus de démarrage du projet du CHUM.
Une façon de remédier aux interventions politiques et au retour en arrière sur des ententes déjà conclues est de faire appel à un ensemble d’indicateurs mesurables et vérifiables.
Si le Québec dispose de l’Agence des PPP, qui est soumise aux enquêtes du vérificateur général, il lui manque toujours un programme systématique d’étalonnage des projets publics.
En soit, c’est une lacune importante qui se reflète également sur la capacité d’utiliser le comparateur public pour évaluer les modes de réalisation ainsi qu’à saisir les avantages et les inconvénients des PPP et du mode traditionnel. S’il y a un chantier qui devrait être démarré incessamment, c’est bien celui de l’étalonnage des projets publics.
Le dernier ensemble de conditions de réussite est lié à la viabilité commerciale des projets. Un des grands avantages des P3 est de mettre le processus de concurrence au service du secteur public. Conséquemment, il faut :
· Un nombre suffisant de partenaire potentiels;
· Une entente originale faite sur mesure;
· Un partage des risques efficace;
· Une rémunération suffisante des risques assumés par le privé.
Par exemple, dans le processus de compulsory competitive tendering britannique, on demandait qu’au moins trois entreprises puissent concurrencer le service en régie et que l’appel d’offre soit lancé dans un journal local et un journal économique. Si ces conditions n’étaient pas remplies, on évaluait à juste titre que l’administration publique risquait d’être prise en otage par un fournisseur en situation dominante.
Le partage des risques est également une question primordiale. Certains risques sont mieux assumés par les utilisateurs ou par le secteur public, comme le risque d’inflation ou les « act of God ».
Le secteur privé peut toutefois être appelé à prendre en charge la plupart des risques techniques, de la conception jusqu’aux délais de production ou les dépassements de coûts. Il faut tout de même lui laisser la marge de manœuvre entrepreneuriale pour faire face à ces risques. C’est un autre attrait important des PPP : faire appel à l’expertise et à la créativité du secteur privé.
L’évaluation des ententes relève beaucoup plus du domaine légal qu’économique. Il serait donc difficile pour moi de me prononcer sur la qualité des ententes de partenariat conclues au Québec. J’aimerais néanmoins mentionner que l’entente de partenariat pour l’Autoroute 25 a remporté en mars dernier le prix du meilleur PPP nord-américain décerné par le magazine International Euromoney Project Finance.
CONCLUSION
En somme, lorsque l’outil est bien utilisé, les PPP peuvent apporter de nombreux bienfaits. Au Royaume-Uni, on estime que 73 % des projets réalisés en mode conventionnel ont connu un retard, contre seulement 22 % pour ceux réalisés en PPP.
Si les facteurs mentionnés aujourd’hui contribuent à maximiser les chances de succès des PPP, il faut mentionner qu’il n’y a pas de facteur unique d’échec. À cet égard, il semble d’ailleurs que le Québec, malgré d’importantes avancées encore à réaliser, soit sur la bonne voie pour réussir ses PPP.
Je me permets de conclure en proposant une piste de réflexion sur ce que devrait être la première vague importante de PPP au Québec.
On sait que le gouvernement devra investir 12 milliards en quatre ans dans son réseau routier. L’expérience internationale nous apprend que les PPP dans des domaines où le privé a déjà été impliqué et pour des projets de taille raisonnable ont plus de chance de succès.
Étant donné l’expérience des entreprises québécoises dans le domaine routier, il semble que les nombreux chantiers à venir pourraient faire l’objet de PPP. Ça serait également l’occasion de repenser notre façon de financer ces projets, puisque le secteur privé peut également prendre la responsabilité de trouver le financement d’un projet en PPP.
Merci beaucoup!