Saturday, October 15, 2005

Tolérance à deux vitesses

Pourquoi devant un modèle aussi inspirant, la société québécoise demeure-t-elle aussi peu inspirée?

Mathieu Laberge
Détenteur d’une maîtrise en économie de l’Université de Nottingham, en Angleterre, et ancien vice-président de la Fédération étudiante collégiale du Québec.
En l’espace de quelques temps, le Québec se sera montré sous son meilleur et son pire jour en ce qui a trait à l’intégration et à la tolérance envers les communautés culturelles. La nomination de Michaëlle Jean, première femme noire à occuper le poste de Gouverneure générale, a recueilli 89% d’appui chez les Québécois. Pourtant, à peine quelques jours plus tard, le Doc Mailloux ressortait le vieux cadavre de la « xénophobie québécoise » du placard avec ses déclarations controversées sur les ondes de Radio-Canada. Deux événements qui laissent des questions fondamentales dans leur sillage.

Le Québec est définitivement au devant des autres pays occidentaux en ce qui a trait à l’ouverture face aux différences culturelles. Loin de se contenter de financer à la pièce les initiatives des groupes ethniques ou de simplement ignorer les difficultés liées à la cohabitation de citoyens d’origines diverses, les gouvernements québécois successifs ont privilégié les échanges entres les citoyens en les outillant pour passer outre les barrières culturelles. Le fer de lance de ce choix politique aura certainement été la volonté de rendre l’apprentissage du français accessible au plus grand nombre. Ce faisant, on a favorisé le développement de relations interculturelles dans la sphère publique, tout en reconnaissant des espaces privés propres aux différents groupes.

Par ailleurs, le concept de mobilité sociale a également pris une grande importance dans le développement du Québec. Issus du « nouveau monde » et confrontés très tôt dans leur histoire à la nécessité de se coaliser pour survivre, les Québécois ont su le mieux affirmer leur solidarité en refusant le modèle social du vieux continent axé sur les divisions entre la classe ouvrière, la classe moyenne et l’aristocratie. Cette organisation de la société a subsisté jusqu’à aujourd’hui, à un point tel qu’être issu de la classe ouvrière au Québec en 2005 n’est pas une fatalité du destin mais un beau défi pour qui veut changer sa situation socio-économique.

Il importe maintenant de reconnaître qu’au-delà du terme malmené et utilisé à toutes les sauces, ces deux concepts de relations interculturelles et de mobilité sociale accrues incarnent le véritable visage du modèle québécois tel qu’on le connaît de nos jours.


L’Europe : à des années-lumière

Les pays européens sont à des années-lumière du Québec à ce chapitre. La France est aux prises à la fois avec une structure sociale qui nie toute mobilité entre « castes économiques » et avec des problèmes endémiques de tensions ethniques qui se concentrent au niveau des « cités », ces ghettos de la banlieue parisienne.

L’Angleterre, pour sa part, est toujours confronté à des classes sociales imperméables. La crise est si criante qu’une chaîne de télévision britannique a diffusé un documentaire de trois heures sur le sujet récemment. Le gouvernement britannique tend néanmoins à adopter de plus en plus des politiques interculturelles inspirées de celles du Québec – ne serait-ce qu’en regroupant tous les leader religieux afin qu’ils travaillent conjointement au plan d’action contre le terrorisme. Ce virage a d’ailleurs porté fruit : les enclaves ethniques sont de moins en moins omniprésentes dans les banlieues des grandes villes britanniques. À cet égard, il est bon de rappeler qu’à la suite des attentats terroristes du 7 juillet dernier, les voisins des kamikazes qui étaient interviewés par la télévision publique témoignaient systématiquement de l’harmonie qui régnait entre les différents groupes culturels du quartier. Une intervenante faisait d’ailleurs ressortir comment les familles mettaient en commun l’éducation des enfants… un peu comme si le « Faubourg à la mélasse » était devenu pluriethnique.

S’il est vrai que les politiques québécoises devraient être un modèle d’intégration culturelle et sociale pour plusieurs pays occidentaux, plusieurs questions demeurent toutefois en suspens. Pourquoi devant un modèle aussi inspirant, la société québécoise demeure-t-elle aussi peu inspirée? Comment se fait-il que des individus comme le Doc Mailloux continuent de rejoindre un large auditoire et réussissent à faire passer leur message rétrograde? Bref, se pourrait-il que les gouvernements des quarante dernières années aient été à ce point à l’avant-garde de leurs citoyens qu’il y ait maintenant un fossé considérable qui les sépare en matière de politique d’intégration? Le Québec est-il désormais réduit à tolérer deux vitesses?
QU'EN PENSEZ-VOUS?

3 comments:

Anonymous said...

Je ne suis pas certain de votre argument pour dire que la société québécoise n’est pas inspirée. Sans revenir en détail sur l’ « affaire Mailloux », je ne crois pas que cet élément est représentatif de la pensée populaire. De toute façon, comme les détecteurs de mensonge, les tests de QI, à ce que je sache, ne peuvent pas être utilisés devant la cours pour défendre ou accuser qui que ce soit, donc de dire que le QI d’une personne est inférieur ne donne qu’une information partielle des capacités de cette personne. Donc on peut dire qu’il a raison, en se basant sur une/des études scientifiques qui peut difficilement, j’imagine, isoler le fait noir/amérindien de manière économétrique (je n’ai pas vérifié), mais on peut dire que les médias en on fait tout un plat pour rien à cause de la valeur d’un test de QI. D’ailleurs, d’après moi, le Doc Mailloux, il rejoint un large auditoire parce qu’il est drôle et différent, il n’y va pas avec le dos de la cuiller, pas parce que les gens boivent de ses paroles et reconnaissent sa grande sagesse.

Je crois que notre « modèle » devrait inspirer d’autres pays, et que les résultats sont réels dans la perception des gens. Il y aura toujours des craintes, des préjugés face aux autres cultures parce que, heureusement, nous vivons dans un monde pluriculturel. Tant qu’il y aura une ouverture vis-à-vis des cultures, je crois que nous allons réussir à atténuer les chocs. Je suis heureux de vivre au Québec.

Pascal Bruneau

Matt said...

Je dois avouer que j'ai de la difficulté à adhérer à votre argument sur le controversé Doc. D'abord, Il n'a pas posé de bémol sur la valeur des tests de QI: il les a pris comme valeur de jugement absolue et a basé toute son argumentation dessus. Peut-on demander au public discerner ce qu'un soi-disant spécialiste ne fait pas lui-même? Non pas que je crois l'auditoire sans jugement, mais on naturellement confiance dans un "spécialiste".

Deuxièmement, je crois que votre argument sur son large auditoire parce qu'il est "drôle et différent" ne tient absolument pas la route! J'aime bien Daniel Lemire et plusieurs autres comiques. Mais quand je les écoute, il est entendu qu'ils cherchent à me faire rire. Qu'un quidam utilise son titre de profession, ici MD, pour avancer des théories farfelues (on m'a dit que l'article auquel le Doc faisait référence était cité comme exemple d'étude biaisée dans les facultés de psycho!), je trouves que c'est dangereux. Sont but n'est pas de faire de l'humour et le fait qu'il rejoigne un tel public et puisse le convaincre me dérange.

Mais rassurez-vous! Je crois également que beaucoup de québécois sont tolérants envers les minorités, peu importe laquelle (parce que mon argument s'applique aussi aux assistés sociaux: pensez aux préjugés qui leur collent au dos!)Néanmoins, je crois qu'il reste beaucoup de travail à faire pour arrimer le discours politique (qui est également le vôtre) au discours d'une large part de la population.

thegreatdo said...

Il me semble que vous digressez quelque peu avec le Doc et son commentaire.Pour en revenir à ton introduction Mathieu, je ne crois pas que les deux événements dont tu fais mention n'aient laissé de "questions fondamentales dans leur sillage" en ce qui a trait à nous, Québécois. Tout simplement parce que la nomination de Michaelle Jean est un fait politique (qui plus est, de la part du gouvernement fédéral, le Québec n'ayant rien eu à dire dans le processus) et que l'histoire médiatisée du Doc Mailloux relève du domaine de l'"entertainment" et rien d'autre. Pas de quoi se mettre à réfléchir sur qui nous sommes en tant que peuple.
Dans un tout autre ordre d'idée, félicitation pour ta "colonne" mensuelle. Je t'envie beaucoup, même si le Québec grand angle n'est pas vraiment mon sujet de prédilection. C'est quand même La Presse!