Sunday, May 28, 2006

Le « modèle » revu

Avec la « social-démocratie concurrentielle », on s’achemine vers une nouvelle compréhension du modèle québécois

Mathieu LABERGE
Professeur au Collège Gérald-Godin et détenteur d’une maîtrise en économie internationale de l’Université de Nottingham, en Angleterre.


« Insipidité navrante des discours», « cynisme et démagogie », « négligence du mérite et de la compétition » au profit de la « médiocrité et de l’insouciance », « crise de la gouvernance »... Les expressions ont abondé au cours des dix derniers mois de cette chronique pour décrire le malaise profond qu’éprouvent les citoyens face au processus politique. Critiqué par les uns, louangé par les autres, le modèle québécois semble dorénavant incapable de traduire la volonté des citoyens en actions concrètes.

Craintifs de voir leurs valeurs bafouées, les Québécois transforment désormais le moindre enjeu en « choix de société ». Ce faisant, ils perdent de vue la finalité d’un projet et s’enlisent plutôt dans des débats stériles sur les façons de le matérialiser. Ainsi, le projet du CHUM s’est embourbé dans une polémique sur son lieu de construction et le développement d’un complexe immobilier dans Saint-Henri a risqué s’achopper sur les locaux à réserver aux groupes sociaux. Comme s’il était plus important de digresser sur l’emplacement d’un hôpital et les bureaux des groupes communautaires que de soigner des malades et loger des familles démunies!


Effervescence politique

Dans un livre à paraître prochainement, l’économiste Marcel Boyer, titulaire de la Chaire Bell Canada de l’Université de Montréal et fellow du CIRANO et du C.D. Howe Institute, présente sa solution à l’immobilisme du modèle social-démocrate actuel. Son modèle de social-démocratie concurrentielle, dont les principes ont été fixés dans un rapport sur la performance économique du Québec en janvier dernier, s’articule autour de la nécessité de laisser au gouvernement la responsabilité de déterminer les besoins prioritaires en biens et services publics ainsi que de recourir aux mécanismes de concurrence pour satisfaire ceux-ci.

En soi, la publication d’un livre sur la « social-démocratie concurrentielle » est un événement. Il y a à peine quelques mois, il aurait été impensable de questionner aussi ouvertement les dogmes dans lesquels la société québécoise se conforte depuis longtemps. En 1998, Jean Charest n’a-t-il pas dû reculer précipitamment après avoir oé prétendre que le modèle québécois vieillissait mal? De plus en plus de personnalités du monde politique, universitaire et artistique s’élèvent pour réclamer du changement sur le fond plutôt que dans la forme. Il était temps! La multiplication des groupes de réflexion et des essais à teneur politique sont autant de témoignages de l’effervescence qui entoure la mutation politique que vit présentement le Québec.


Faire tomber les mythes

Le rôle de ces « empêcheurs de tourner en rond » est précisément de faire œuvre de pédagogie pour expliquer en quoi il est possible d’aspirer à mieux et ainsi déboulonner les carcans idéologiques dans lesquels s’enferment les Québécois. Le réflexe opposant constamment le secteur privé au secteur public en niant tout autre forme d’alternative est de ceux-là. On oublie trop souvent qu’un des plus grand succès financier du Québec, le Mouvement Desjardins, est né d’une coopérative qui s’est taillée une place enviable à l’échelle Nord-Américaine. On néglige également le grand nombre de CPE, de logements locatif et de librairies collégiales et universitaires qui sont gérés par des coopératives de service. Bref, on omet de mentionner que, dans bien des cas, des organisations, ni gouvernementales, ni privées, ont décidé de jouer le jeu de la concurrence et ont remporté leur pari au point de supplanter les firmes privées.

Immanquablement, cette nouvelle façon d’aborder les questions économiques et sociales viendra confronter la méfiance viscérale des Québécois envers la compétition. Et c’est tant mieux! Car disons les choses comme elle sont : si les industries québécoises sont si performantes qu’on le claironne, pourquoi avoir peur de les laisser se frotter aux géants internationaux? L’entente de gré à gré pour confier la construction des wagons du métro de Montréal à Bombardier est le dernier exemple en lice de décision publique douteuse dictée par cette insécurité déraisonnable.

À n’en pas douter, l’œuvre de Marcel Boyer, et les autres initiatives semblables qui la suivront certainement, remettront en question la conception actuelle qu’on se fait du modèle québécois. Force est également d’admettre qu’elles s’inscrivent dans un contexte plus large d’évolution politique vers l’acceptation d’une pluralité de points de vue au sein de la société. Et ça, c’est de très bon augure pour la qualité des débats publics! Le Québec ne peut qu’en sortir gagnant.

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2 comments:

Vincent Geloso said...

Intéressant Mathieu, vraiment je suis ébahi. Est-il possible d'être tenu au courant pour le lancement du livre de Boyer?

Matt said...

Bonjour mes amis!

Jacques: Je suis très content d'avoir de tes nouvelles! Prend le temps de m'envoyer un courriel par le lien sur mon site et on ira prendre un verre. Par ailleurs, oui tu n'as pas perdu ta capacité à te perdre dans ton argumentation. Mais elle est tout de même juste et, parmi beaucoup de gens qui ont réagit, je crois que tu es celui qui a le mieux compris la porté de mon propos! Au plaisir, l'ami!

Vincent: Sans fautes, je te tiendrai au courant. De toute façon, le lancement du livre de M. Boyer devrait faire pas mal de bruit...

Merci de visiter mon site et de laisser vos commentaires!

Matt