Mathieu LABERGE
Professeur au Collège Gérald-Godin et détenteur d’une maîtrise en économie internationale de l’Université de Nottingham, en Angleterre.
Après des mois de cafouillage et plusieurs milliers de dollars en études, le gouvernement Charest réévalue pour la énième fois les coûts de la construction du CHUM. Mais nul besoin d’attendre le résultat de ces nouvelles expertises; le verdict tombera, aussi dur qu’implacable : le gouvernement s’est trompé. En rejetant le projet de pôle technologique sur le site d’Outremont, non seulement le gouvernement aura écarté cavalièrement le meilleur projet en lice, mais il l’aura fait pour les mauvaises raisons! Ce dossier constitue par ailleurs un exemple supplémentaire de l’incapacité des gouvernements récents à susciter des projets mobilisateurs.
Comme le révélait La Presse il y a quelques semaines, les coûts de construction du CHUM et du CUSM devraient dépasser les prévisions d’environ un milliard de dollars. L’équipe du Premier Ministre Charest, Philippe Couillard en tête, avait pourtant évoqué des raisons financières pour favoriser le site de l’hôpital Saint-Luc. Le projet de développer un pôle technologique d’envergure dans la cour de triage du CP à Outremont, englobant non seulement le CHUM, mais également la faculté de médecine de l’Université de Montréal et d’autres services connexes a donc été injustement boudé. C’était pourtant le projet le plus porteur et le plus prometteur parmi ceux proposés.
Cohabitation possible
Partant du principe que le CHUM n’est pas un hôpital comme les autres, mais une institution à vocation universitaire, son emplacement était de moindre importance. La priorité fondamentale devait être de favoriser l’essor d’un milieu propice à offrir et à développer des services médicaux de pointe qui seront utiles à l’ensemble des Québécois, pas seulement à la population montréalaise. Bien sûr, le CHUM offrira également des services de santé généraux à ses voisins immédiats, mais les deux missions ne sont pas irréconciliables; d’autres pays en ont fait l’expérience avec succès.
C’est particulièrement le cas en Angleterre où les hôpitaux universitaires, en plus d’offrir des soins généraux aux populations avoisinantes, développent chacun une spécialité offerte à une plus vaste clientèle, parfois même à l’échelle continentale. Ainsi, l’hôpital universitaire de Birmingham est un spécialiste national en traitement des dysfonctions rénales et en chirurgie plastique en plus de faire figure de leader européen en transplantation d’organes, alors que l’hôpital universitaire de Southampton est le spécialiste en pédiatrie dans le Sud de l’Angleterre. En plus de favoriser la recherche dans leur spécialité respective, les hôpitaux universitaires britanniques forment nombre d’étudiants en médecine. Bref, le ministre Couillard a erré là où plusieurs sont passés avant lui. Et c’est sans compter les multiples avantages de décontaminer et d’utiliser un terrain alors fortement pollué et pratiquement abandonné; ni même les avantages de construire des bâtiments neufs et adaptés à la vocation de recherche et aux équipements qu’elle nécessite que présentait le projet de l’Université de Montréal. En somme, malgré des coûts similaires, on aura troqué un pôle universitaire d’envergure continentale pour un centre hospitalier universitaire beaucoup plus commun.
Crise de la gouvernance
À écouter Philippe Couillard bafouiller et avoir recours aux derniers retranchements des tactiques politiciennes depuis quelques jours, on peut se demander s’il n’a pas frappé son Waterloo dans le dossier du CHUM. Reste à savoir si cette bévue suffira à faire pâlir son étoile dans le ciel politique du Québec. L’électorat a beau avoir la mémoire courte, on n’enterre impunément pas un projet qui aurait eu pour effet de propulser le Québec parmi les leaders nord-américains dans le domaine de la santé.
Plus fondamentalement, on peut se questionner sur cette incapacité chronique qu’ont eue les gouvernements récents à mettre en branle des projets innovateurs qui auraient pour effet d’insuffler fierté et espoir aux Québécois. On croirait que le manque de vision et l’étroitesse d’esprit sont devenus les marques de commerce des gouvernements québécois qui ont suivi l’ère Bouchard; comme si l’État québécois en entier avait atteint son seuil d’incompétence depuis quelques années. Dans son dernier livre, Alain Dubuc, met cette inertie sur le compte des craintes des Québécois face au domaine de la finance et de ses projets les plus ambitieux. Il y a tout lieu de se demander si, à la source de cette incapacité d’investir, il n’y a pas une véritable crise de la gouvernance au Québec qui encourage la médiocrité et l’insouciance de nos décideurs les plus doués.